Afforestation sur bermes dans des pentes sujettes au glissement de la neige

Durant les années 1970, l'Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL a lancé une série d'afforestations expérimentales sur bermes. Il s'agit d'en rendre compte ici et de parler de leurs avantages et inconvénients, même s'il s'avère qu'à terme, la réussite d'une plantation en montagne dépend d'abord du choix de la micro-station et de l'essence, et qu'une plantation en collectifs est préférable à une plantation linéaire systématique.

 

Qu'entend-on par bermes?

Les bermes sont de petites terrasses aménagées pour le rajeunissement forestier dans des zones pentues. Le principe s'inspire de ce qui est pratiqué de très longue date en agriculture. Les bermes permettent localement une amélioration des conditions stationnelles. Lors de leur aménagement, les parts organiques et minérales du sol sont mélangées et les conditions hydriques de la couche supérieure influencées. Les plants profitent au départ d'une surface sans concurrence de la végétation. Les bermes augmentent le facteur de rugosité du sol et ont une influence positive dans les expositions sud contre le glissement de la neige. Dans les expositions nord, elles permettent au sol d'obtenir un apport thermique supplémentaire.

Sur les pentes raides en altitude, là où elle est encore à même de former des peuplements, la forêt permet de protéger contre les dangers naturels à bien meilleur coût que toute construction technique. C'est pourquoi le WSL se préoccupe depuis plus de 60 ans, entre autres, des questions liées à l'afforestation et à la reforestation dans ces conditions difficiles. Les jeunes arbres sont menacés par les conditions climatiques extrêmes, la concurrence de la végétation, les maladies fongiques, les insectes, le gibier et les mouvements du manteau neigeux. Contre ces derniers, des mesures techniques de protection telles que bermes, pieux, seuils, trépieds ou râteliers sont souvent indispensables pour donner une chance à la reprise des plants. C'est en 1967 qu'émergea l'idée d'améliorer les conditions de station à l'aide de bermes.

 

Bermes aménagées à l'aide d'une pelle araignée ou d'une charrue

Ce procédé entièrement mécanisé convient aux sols profonds et permet de mettre en place des bermes d'une largeur de 70 à 120 cm.

Bermes réalisées manuellement

Pour ce type de berme, le sol de surface doit avoir une épaisseur d'au moins 20 cm. Après avoir découpé horizontalement la ligne de base de la berme en aval avec une bêche et son arête en amont avec une bêche ou une pioche croisée, le travail se poursuit à deux personnes pour dégager les bandes, l'une avec une bêche courte en amont et l'autre avec une bêche longue en aval. Les mottes sont ensuite remises en place, renversées, la couche herbeuse dessous. Selon la profondeur du sol, la largeur de ces petites terrasses varie entre 50 et 80 cm.

Bermes en assiettes

Ces petites bermes d'une taille d'env. 40 x 30 cm sont découpées à la pioche ou à la bêche. Une fois extraite, la motte de sol est retournée et réinstallée à l'envers dans le trou. Ces petites bermes en assiette peuvent être réalisées en lignes et elles conviennent aussi très bien pour les plantations en collectifs.

 

Surfaces d'essais

Lieu-dit Commune / canton

Altitude [m]

Exposition Pente [%] Type de sol Particularités
Sennisalp Berschis SG 1520-1580  N-O 50 Schiste Terrain très accidenté, humide
Salewang Brienz BE 1380-1650  S-O 60 - 80 Sol argileux Terrain accidenté, sec, pente raide
Alpogler Berg Giswil OW 1620-1750  N-E 50 - 70 Flysch Terrain accidenté, humide, pente raide
Matthorn Alpnach OW 1580-1620  S-E 80 Calcaire Terrain accidenté sec, pente raide
Sonnenplanke Oberurnen OW 1370-1400  S 60 Calcaire Terrain peu accidenté mais vallonné

Berschis (SG)

La surface située au-dessus de Berschis s'étend sur 0,6 ha. C'est un ancien pâturage boisé présentant des zones hydromorphes. Un an avant la plantation, 1550 m' de bermes ont été réalisées à la pelle araignée et 1980 bermes en assiettes manuellement. Au printemps 1977, 3200 épicéas furent plantés (plantation en trou) sur les bermes. L'afforestation se situe dans un petit vallonnement où la neige peut s'accumuler et atteindre parfois encore une hauteur de 4 m en avril.

Brienz (BE)

La surface située au-dessus de Brienz, sur la forte pente de Salewang, s'étend sur 0,5 ha. En automne 1977, 1500 m' de bermes continues et 1600 bermes en assiettes ont été aménagées. Au printemps 1978, 2600 épicéas furent plantés. La pente exposée sud-ouest, avec des aulnes verts, est propice au glissement de la neige, voire aux avalanches, son sol est superficiel, squelettique. Sa zone inférieure est plutôt humide sous l'influence de la poussée du versant.

Giswil (OW)

La surface située au-dessus de Giswil, sur l'Alpoglerberg, s'étend sur 1,34 ha d'un terrain accidenté issu d'un ancien pâturage. En automne 1976, 1650 m' de bermes continues ont été aménagées avec une pelle araignée et 1950 m' à la main. Au printemps 1977, 7000 épicéas furent plantés systématiquement, aussi bien dans les dépressions, plus enneigées en hiver et plus humides, que sur les élévations de terrain.

Alpnach (OW)

La surface située au-dessus d'Alpnach s'étend sur 0,5 ha du versant escarpé exposé sud-est du Matthorn. C'est un ancien pâturage, séchard et fortement soumis au glissement de la neige. L'aménagement de 1300 m' de bermes continues et de 720 bermes en assiettes a été réalisé en même temps que la plantation, au printemps 1978. Au total 4100 mélèzes furent plantés (plantation en trou).

Oberurnen (GL)

La surface située au-dessus d'Oberurnen s'étend sur 0,5 ha d'un ancien pâturage. L'aménagement de 1500 m' de bermes a été réalisé en 1976 et la plantation de 2600 épicéas (plantation en trou) au printemps 1977. Elle eut lieu de façon systématique, aussi bien dans les dépressions, plus enneigées en hiver et plus humides, que sur les élévations de terrain.

Evolution des afforestations

Berschis (SG)

Les arbres ont beaucoup souffert de cassures du tronc et des branches ainsi que de l'herpotrichie noire. Ce champignon est d'ailleurs la principale cause de la forte mortalité des arbres durant les premières années après la plantation. En 2005, les plus grands épicéas ayant survécu avaient une hauteur comprise entre 2 et 4 mètres. L'installation de bermes continues avec la pelle araignée dans ce sol engorgé s'est avéré contre-productif. Lors de fortes pluies, l'eau s'accumulait sur les terrasses et formait de grandes flaques, à l'origine de l'érosion et de glissements de terrain, emportant des lignées entières d'arbres.

 

Oberurnen (GL)

Sur l'ensemble de la surface, une forte concurrence de la végétation herbacée a nécessité deux fauchages annuels durant plusieurs années. Dans les dépressions de terrain, les épicéas ont souffert du glissement de la neige et de la plus longue durée de la couverture neigeuse. La mortalité des épicéas plantés dans ces zones a été élevée du fait de l'herpotrichie noire. Les épicéas situés en bordure de l'afforestation ont passablement souffert de l'abroutissement du gibier. Cependant, 30 ans après la plantation, suffisamment d'épicéas ont survécu et se sont développés en un beau perchis. L'afforestation est un succès et son avenir est assuré.

 

Giswil (OW)

La mortalité des arbres due au choc de transplantation, aux maladies cryptogamiques et à la concurrence de la végétation durant les premières années après la plantation a été minime. Cette première période a nécessité cependant de nombreux soins sous la forme de fauchages. Dix ans après la plantation, durant l'hiver 1987/1988, les épicéas ont énormément souffert du gel. Dès le printemps, plusieurs cimes et branches latérales ont viré au brun-rouge et ont séché (photo). Aujourd'hui encore, de nombreux arbres présentent des formes de croissance particulières (p. ex. nombreuses cimes) et rappellent cette phase de croissance touchée particulièrement par le gel. Les arbres n'ont finalement survécu que sur les micro-stations un peu surélevées, rapidement libres de neige au printemps. Avec une distance de plantation entre chaque arbre de 80 cm à 1 m, ces zones favorables pour la croissance des arbres ont assez rapidement accueilli un dense perchis. Il s'est alors agi pour le service forestier d'assurer la stabilité de cette réussite par les soins adéquats.

 

Formes de croissance fréquentes

Tous ces essais d'afforestation se situent sur des versants soumis au glissement d'une épaisse couche de neige. En hiver, tant que les arbres sont petits, ils sont d'abord plaqués au sol par le poids de la neige, et celle-ci, en glissant sur eux, leur cause des écorchures. A la fonte des neiges, les arbres se redressent. A partir de 5 à 10 ans après la plantation, des formes de croissance particulières, typiques de ce type de station, commencent à devenir visibles. Des formes de croissance en sabre et en coude sont alors fréquentes. Avec l'âge, les arbres perdent de leur souplesse et de plus en plus de tiges se fendent dès la base. Ce genre de dégât n'est pas tout de suite source de mortalité, mais la vitalité des arbres et leur stabilité en est clairement perturbée. La plupart du temps, ce type de dégât est rédhibitoire et finit par une cassure du tronc.

 

Dangers liés au glissement de la neige

Dans les zones favorables, c'est-à-dire en-dehors des dépressions de terrain et des zones les plus froides et humides, le taux de survie des épicéas et mélèzes a été réjouissant sur tous les types de bermes testés. La distance de plantation réduite (parfois jusqu'à 50 cm), a permis un développement après 5 à 6 ans qui pouvait s'apparenter à une haie. Des croissances en hauteur annuelles de 50 cm à 1 m étaient même parfois relevées sur les meilleures micro-stations. En même temps, cette croissance prétéritait les arbres par rapport au glissement de la neige. Perdant en flexibilité, ils étaient de plus en plus soumis à des dégâts mécaniques tels que des écorchures, des bris de tronc et de branches et des déracinements. Dans les zones les plus escarpées, des rangées entières d'arbres ont été arrachées, entraînant avec elles le retournement des terrasses, autant de portes ouvertes à l'érosion.

Engorgement d'eau et maladies cryptogamiques

Les bermes aménagées à l'aide de la pelle araignée présentaient l'avantage, de par leur plus grande largeur, d'être plus efficaces contre le glissement de la neige que celles réalisées à la main. Peu d'années après leur construction cependant, ces bermes se sont avérées instables. Les arbres qui y étaient plantés étaient souvent recouverts de terre et de pierraille. L'évacuation de l'eau posait également problème après de fortes précipitations, les arbres pouvant alors passer plusieurs jours dans de l'eau stagnante. Sur ce type de terrasses, les épicéas ont particulièrement souffert de l'herpotrichie noire, ce champignon qui se développe durant l'hiver à l'abri du manteau neigeux et qui peut être responsable d'une mortalité élevée des jeunes plants.

Conclusions

La micro-station est essentielle

Trente ans après la plantation, les surfaces d'essais d'Oberurnen, Giswil et Alpnach présentaient une image réjouissante. Les nombreux arbres ayant survécu atteignaient des hauteurs de 3 à 10 mètres et gagnaient le stade du perchis. Afin d'en accroître la stabilité, des éclaircies ont été pratiquées.

Par contre, les surfaces de Brienz et Berschis ont clairement démontré que l'aménagement de terrasses dans des sols instables favorise les glissements de terrain et ne doit pas être pratiqué. Les quelques épicéas ayant survécu sont en très mauvais état.

Les différences au niveau de la reprise des plants n'est pas dû aux types de terrasses mais aux conditions micro-stationnelles. Les combes et dépressions de terrain, tous les endroits où la neige s'accumule et reste plus longtemps au printemps sont des zones défavorables pour la plantation et ne peuvent pas être améliorés par la création de terrasses.

Aménagement des bermes durant l'automne précédant la plantation

Les bermes subissent généralement la plus forte érosion durant le premier hiver. De ce fait, il est recommandé d'aménager les terrasses durant l'automne précédant la plantation.

Un essai préalable à cette série de grandes afforestations expérimentales a visé à déterminer l'emplacement du plant sur la berme, avec trois variantes, dans lesquelles épicéas et mélèzes furent plantés côté aval, au milieu et côté amont. Une année après la plantation, jusqu'à 76% des arbres installés en avant de la terrasse (côté aval) présentaient des cassures de la tige et des branches, alors qu'au milieu, seulement 17% étaient endommagés et à l'arrière (côté amont) 7%. Ces derniers étaient mieux protégés du glissement de la neige, par contre, ils nécessitaient plus de soins, car en hiver et lors de fortes précipitations, ils pouvaient être plus facilement recouverts par de la terre ou des cailloux. Trois à quatre ans après la plantation, la concurrence de la végétation s'est aussi avérée plus forte à l'arrière de la berme qu'au milieu. Finalement, plus de 15’400 épicéas et 4'000 mélèzes ont été plantés en trou au milieu des bermes. Nombre d'entre eux ont tiré profit de l'absence de concurrence de végétation durant les premières années, et la nécessité des soins en a été d'autant réduite.

Influence des bermes sur le glissement de la neige

Typiquement, les versants exposés au sud et présentant une pente de plus de 55% sont menacés par le glissement de la neige. Celui-ci est favorisé par un tapis herbacé, car le facteur de rugosité du sol, déterminant, est très faible dans ce cas. Les essais réalisés montrent, sans surprise, que l'efficacité des bermes contre le glissement de la couche de neige diminue avec l'augmentation de la distance entre elles et que les bermes continues sont plus efficaces que les bermes en assiettes

Dans les zones à la fois escarpées et très enneigées, d'autres mesures techniques comme des trépieds ou des ouvrages paravalanches temporaires sont fortement recommandés, voire indispensables pour assurer la protection de l'afforestation.

Des bermes en assiettes dans les zones favorables

L'aménagement de terrasses continues, qui a demandé un important investissement en temps et financier, ne s'est pas avéré rentable, sur aucune des surfaces d'afforestation, malgré leur plus grande efficacité contre le glissement. Les bermes en assiettes étaient toujours la variante la plus avantageuse. Dans les zones difficiles, avec des problèmes de glissement de la neige, seuls les endroits les plus favorables sont à reboiser, et sous la forme de collectifs plutôt que de plantations systématiques.

Avantages et inconvénients des terrasses

Inconvénients

Coût élevé

Risques d'érosion

Danger d’engorgement d'eau et de maladies cryptogamiques (herpotrichie noire)

Avantages et inconvénients des terrasses

Avantages

Diminution du glissement de la neige

Facilitation des travaux de plantation

Diminution de la concurrence de la végétation durant les premières années

Bibliographie

Barbezat, V., 1990: Interner Schlussbericht der Bermenaufforstungsversuche. 

Barbezat, V., 1989: Le rôle des terrasses parmi les mesures techniques de protection des boisements d'altitude. Acta biol. mont. IX, 195-200.

Beda, G., 1973: Aufforstungstechnik im Gebirge. Allg. Forstztg.,Wien 84, Folge 10 237-240.

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Beda, G., 1967: Bermen für die Aufforstung am Hang. Schweiz. Z. Forstw. 118, 4, 215-233.