Au matin du 26 décembre 1999, la tempête Lothar a balayé la Suisse, abattant quelque 14 millions de mètres cubes de bois, soit trois fois le volume annuel des coupes. Les experts et expertes du WSL répondent à de nombreuses questions sur l’état des forêts 25 ans après.
Contenu ¶
- À quel degré l'ouragan Lothar a-t-il affecté la forêt suisse?
- Comment les surfaces de chablis ont-elles évolué?
- Quels enseignements ont-ils été tirés?
- Quelles essences plus résistantes aux tempêtes et au changement climatique sont-elles davantage plantées aujourd'hui?
- Le bois mort protège-t-il encore suffisamment contre les dangers naturels?
- Quelle est la situation fin 2024 et comment se portent les forêts aujourd'hui?
- La forêt suisse est-elle aujourd'hui mieux armée pour faire face à une tempête du siècle comme l'a été Lothar?
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- Droits d'auteur
«Lothar nous a fait prendre conscience des dégâts que peuvent causer les événements extrêmes. Sur le Plateau, l'ampleur était sans précédent, on dirait aujourd'hui 'inconcevable'.» Thomas Wohlgemuth, écologue et spécialiste des perturbations en forêt, WSL.
«Les tempêtes apportent du dynamisme à une végétation forestière habituellement plutôt 'indolente'. Après deux ou trois ans, le sous-bois était devenu si foisonnant qu'il était parfois impossible de se frayer un chemin dans des zones auparavant faciles d'accès. Dans les secteurs où les chablis n'avaient pas été évacués, on ne pouvait parfois se déplacer que sur des troncs d'arbres empilés sur deux ou trois mètres de hauteur – à condition que l'écorce tienne encore.» Michael Nobis, botaniste, WSL.
«Grâce aux enseignements tirés de la tempête Vivian en 1990 et aux travaux de recherche du WSL, la Suisse était bien mieux préparée qu'après Vivian en matière d'organisation, de technique et d'écologie. Il y a notamment eu beaucoup moins de décès lors des travaux de nettoyage qu'après Vivian et, dans l'ensemble, on a ensuite davantage veillé à pratiquer une gestion forestière proche de la nature.. Peter Bebi, écologue forestier et spécialiste des forêts protectrices, SLF
«Il est impressionnant de voir comment, en 20 ans, des paysages apocalyptiques jonchés d’arbres morts sont devenus des eldorados dynamiques et luxuriants, abritant une faune rarement observée ailleurs.» Beat Wermelinger, entomologiste à la retraite, WSL.
À quel degré l'ouragan Lothar a-t-il affecté la forêt suisse? ¶
Cette tempête hivernale a été de loin la plus violente en Europe et en Suisse en termes de dégâts forestiers. Rien qu'en Suisse, elle a mis à terre 14 millions de mètres cubes de bois, soit l'équivalent de 3500 chargements de camion. C'est presque trois fois la quantité de bois abattu chaque année en Suisse.
Le secteur de la forêt et du bois a été touché de plein fouet. Dix-sept propriétaires forestiers et deux personnes travaillant dans des entreprises forestières publiques ont perdu la vie lors des dangereux travaux de nettoyage. Les prix des grumes ont chuté d'environ un tiers en raison de l'offre excédentaire au printemps 2000.
Les dégâts ont majoritairement touché le Plateau. La tempête a surtout fait des ravages dans les forêts principalement destinées à la production de bois, mais aussi dans les forêts récréatives proches des villes. Les forêts protectrices ont subi de gros dégâts en Suisse centrale, où localemnt jusqu'à 25% de leur surface ont été détruits.
Dans les années qui ont suivi, notamment après la canicule de 2003, les pullulations de scolytes ont causé des dégâts supplémentaires équivalant à près des deux tiers de ceux provoqués par la tempête.
Les spécialistes de la forêt au WSL tirent les conclusions suivantes de leurs observations à long terme: ¶
Comment les surfaces de chablis ont-elles évolué? ¶
Sur de nombreuses grandes surfaces de chablis, des arbres ont pu prendre la relève et atteignent aujourd'hui en moyenne 10 à 20 mètres de haut. Mais on trouve aussi sur le Plateau – selon les caractéristiques du sol et la végétation initiale – des parcelles où les ronces ou la fougère aigle ont longtemps entravé les jeunes arbres, ou d’autres où ne poussent pas les essences souhaitées, mais des noisetiers, par exemple. Là où la tempête avait renversé de nombreux épicéas, souvent plantés, dans les régions de basse altitude, des forêts feuillues mixtes, naturellement plus résilientes au climat et riches en espèces, se sont développées.
Les observations à long terme ont également révélé des faits surprenants. Par exemple, une phase pionnière comportant des essences à croissance rapide comme le bouleau et diverses espèces de saule a souvent fait défaut. Cela signifie que dans de nombreuses zones, on trouve simplement les descendants des essences de la forêt initiale. De plus, malgré les opérations de déblaiement, une grande quantité de bois mort est restée sur les surfaces de chablis, bien plus que ce qui est habituel dans les forêts suisses. Cela constitue un avantage pour la biodiversité, car le bois mort est un habitat essentiel.
Grâce à Lothar, de nombreuses forêts sont devenues plus structurées, avec de nouveaux habitats pour de nombreuses espèces animales et végétales. La diversité des insectes a littéralement explosé après la tempête, comme l’a révélé une étude du WSL menée sur 20 ans. Cet effet positif sur la biodiversité a certes diminué progressivement lorsque les arbustes et les arbres ont envahi les surfaces de chablis, mais il a persisté 20 ans après la tempête. Le nombre d'espèces rares était un tiers plus élevé sur les surfaces de chablis que dans la forêt indemne. «Les surfaces de chablis non nettoyées constituent un habitat exceptionnel pour les espèces menacées, en particulier dans les stades de décomposition avancés», explique Beat Wermelinger, qui a étudié pendant des décennies la diversité des insectes sur les surfaces de chablis. Une étude de la Station ornithologique suisse a démontré que les pics pouvaient profiter de Lothar, car ils se nourrissent d'insectes vivant sous l'écorce des arbres ou dans le bois pourri.
Quels enseignements ont-ils été tirés? ¶
Lorsque de violentes tempêtes s’abattent sur un grand massif forestier, il s'ensuit presque toujours une prolifération de scolytes dans les peuplements riches en épicéas pendant quelques années. Cela concerne d'abord la périphérie des surfaces de chablis, puis le peuplement affaibli adjacent. Si des fonctions forestières importantes doivent être protégées, il est important, en particulier à basse altitude, d'évacuer le plus rapidement possible les épicéas endommagés. Dès que les températures augmentent, les scolytes se reproduisent rapidement dans les épicéas. Après une tempête d'une telle ampleur, les capacités des services forestiers ne suffisent généralement pas pour évacuer à temps les épicéas infestés. C'est pourquoi les efforts se concentrent sur la prévention des attaques d'arbres vivants.
Dans les forêts protectrices, il peut être judicieux d'écorcer les arbres abattus par une tempête et de les laisser ensuite sur place, car ils peuvent ainsi protéger à moyen terme contre les chutes de pierres et les avalanches.
L'épicéa n'est pas indigène sur le Plateau, l'industrie forestière l'ayant planté à grande échelle pour la production de bois. Il n’est pas seulement vulnérable aux tempêtes hivernales et aux scolytes, mais souffre également de la chaleur et de la sécheresse. Il est aujourd’hui nettement moins présent sur le Plateau, comme le montre l’Inventaire forestier national (IFN) réalisé par le WSL. Sur les surfaces de chablis, de nombreuses essences feuillues ont repoussé naturellement, parmi lesquelles des espèces considérées comme résistantes au changement climatique, telles que les chênes, le merisier, l'érable sycomore ou des montagnes et l'érable plane.
Comme le prouvent plusieurs études, une tempête est une opportunité pour la diversité des espèces, par exemple celle des insectes. Afin de la préserver et de la promouvoir à l'échelle du paysage, le bois de tempête ne devrait être évacué que sur une partie des surfaces. Une mosaïque de forêts intactes et de zones de chablis nettoyées et non nettoyées est idéale pour la biodiversité. Le vieux bois mort, en particulier, est un habitat précieux qui n'est devenu plus fréquent qu'avec l'augmentation des événements extrêmes de ces dernières années (tempêtes, sécheresse, scolytes).
Quelles essences plus résistantes aux tempêtes et au changement climatique sont-elles davantage plantées aujourd'hui? ¶
Les essences feuillues étant dénudées en hiver, elles offrent moins de prise au vent et sont généralement moins vulnérables en cas de tempête hivernale que les conifères, et cette relation augmente avec la hauteur des arbres. Ces essences ont également tendance à mieux tolérer la chaleur et la sécheresse. D'une manière générale, les forestiers suisses plantent aujourd'hui beaucoup moins d'arbres qu'avant 1990. Ils favorisent plutôt la régénération naturelle des espèces souhaitées, en leur procurant de la lumière et en les protégeant du gibier. Cela dit, on trouve à nouveau davantage de jeunes arbres plantés et protégés contre l'abroutissement dans les clairières, afin de préserver à l'avenir les essences privilégiées face à la prolifération rapide des ronces et à la pression exercée par la faune sauvage.
Le bois mort protège-t-il encore suffisamment contre les dangers naturels? ¶
Peter Bebi, spécialiste des forêts protectrices au SLF, a étudié l'évolution de la protection contre les dangers naturels sur les surfaces de chablis en montagne. Conclusion: les troncs et les disques racinaires épars ont contribué pendant une durée étonnamment longue à la protection contre les avalanches et les chutes de pierres. En 20 ans, les arbres empilés les uns sur les autres ont été compressés, passant de plusieurs mètres de hauteur à 80 centimètres. Grâce à la rugosité accrue du sol, l’effet protecteur a toutefois diminué moins rapidement après une tempête qu’on ne l’avait prévu.
Rares sont ceux qui, avant 1990, auraient eu l'idée de ne pas nettoyer les forêts protectrices après une tempête. Grâce aux recherches du WSL, l'éventail des options s'est élargi. Aujourd'hui, les services forestiers peuvent mieux évaluer quand il est judicieux de laisser les chablis sur place, de ne les évacuer que partiellement ou de combiner un nettoyage avec des plantations et d'autres mesures de protection.
Quelle est la situation fin 2024 et comment se portent les forêts aujourd'hui? ¶
2024 a été une année humide et une période de récupération pour la plupart des forêts après la série d'années sèches que la Suisse a connues depuis 2018. Celles-ci ont fortement affecté la forêt (voir news «La forêt suisse souffre des extrêmes climatiques») et ont augmenté le taux de mortalité des arbres.
La forêt suisse est-elle aujourd'hui mieux armée pour faire face à une tempête du siècle comme l'a été Lothar? ¶
Oui, parce qu'il y a aujourd'hui beaucoup moins d'épicéas et plus de feuillus sur le Plateau qu'à cette époque. Les scolytes trouvent généralement un peu moins d'arbres. Toutefois, le temps plus chaud et la sécheresse plus sévère devraient entraîner des pullulations encore plus importantes. La dernière grande tempête hivernale Éléanor (aussi appelée Burglind) en 2018 et les fortes infestations de scolytes de 2018 à 2020 au nord des Alpes l'ont clairement démontré.
Les tempêtes hivernales sont un phénomène typique de l'Europe occidentale, septentrionale et centrale après lesquelles les scolytes prolifèrent massivement, d'abord dans les épicéas cassés, renversés ou affaiblis. Pendant ces pullulations, les scolytes s'attaquent également aux épicéas sains. Avec la chaleur, qui permet à plus de générations d'insectes de se développer, et la sécheresse, qui affaiblit encore plus les épicéas, le nombre d'insectes explose et ne redescend que plusieurs années plus tard. Ce schéma s'est produit après Vivian en 1990, Lothar en 1999 et Burglind en 2018.
On peut s'attendre à ce que de grosses tempêtes se produisent à nouveau tôt ou tard; des tempêtes plus fortes que Lothar semblent difficilement concevables en Europe, mais ne sont pas exclues avec le changement climatique. Les services forestiers sont toutefois mieux préparés aujourd'hui, grâce aux enseignements de Vivian et de Lothar, mais aussi grâce aux projets de recherche à long terme du WSL.
Lothar: tempête ou ouragan? ¶
Les météorologues considèrent Lothar comme une tempête synoptique hivernale à caractère explosif, exceptionnellement intense pour l’Europe. Ce n'était pas un ouragan, terme désignant les cyclones tropicaux, bien que ce nom lui soit parfois donné, notamment par analogie avec le mot allemand Orkan.
Source: d’après Wikipédia
Contact ¶
Dr. Thomas Wohlgemuth
Biodiversité
thomas.wohlgemuth(at)wsl.ch
+41 44 739 2317
Dr. Michael Nobis
Développement de la végétation
michael.nobis@wsl.ch
+41 44 739 25 35
Dr. Peter Bebi
Forêt protectrice
bebi(at)slf.ch
+41 81 417 0273
Publications (sélection) ¶
Droits d'auteur ¶
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