25.03.2015 | News WSL
Pour la première fois, une équipe de chercheurs de l’Institut fédéral de recherches WSL a réussi à déterminer tout le spectre des microorganismes présents dans la zone de retrait d’un glacier alpin. Au pied du glacier du Damma, ils ont aujourd’hui un aperçu exceptionnel de la formation des sols et du développement d’une nouvelle vie.
Lorsque les glaciers reculent, ils libèrent dans un premier temps des étendues désolées. Mais en quelques années à peine, les plantes et les animaux reconquièrent ces déserts de pierres à première vue inhospitaliers. Comment cette nouvelle vie réussit-elle à prendre pied sur un sol aussi peu fertile ? C’est ce qu’a étudié une équipe de scientifiques menée par Beat Frey, écologue des sols à l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL dans la région du glacier du Damma. Pour la première fois, les chercheurs ont réussi à analyser l’ensemble du spectre des espèces de bactéries, champignons et algues dans le sol de la zone de retrait glaciaire. Cela leur a ouvert une fenêtre unique sur la vie cachée au sein du sol, et donc sur son évolution précoce et l’apparition d’une nouvelle communauté vivante.
Depuis 2007, l’équipe de chercheurs observe la zone de retrait du glacier du Damma dans les Alpes uranaises. Les scientifiques ont collecté 144 échantillons de sol et ont déterminé toutes les espèces présentes à l’aide d’une technologie récente basée sur le séquençage de l’ADN. Les résultats les ont surpris. « À peine quelques années après le retrait du glacier, une variété énorme de microorganismes a colonisé la zone dégagée », constate Beat Frey. « Nous avons trouvé entre 1000 et 1300 espèces dans les échantillons de sol. En fait on ne peut pas encore vraiment parler de sol ici, car ce n’est que du gravier mélangé à du sable finement broyé par le glacier. Le carbone et l’azote, indispensables pour la croissance des plantes, sont pratiquement absents. Aucune plante n’a la moindre chance de s’y enraciner et de survivre à long terme. Les microorganismes identifiés affrontent cependant cet environnement hostile, recouvrent ce désert minéral d’un gazon vert et enrichissent le sol en nutriments.
Les bactéries mortes améliorent la fertilité du sol
« Parmi les espèces, nous avons trouvé sur une zone à peine abandonnée par le glacier ce qu’on appelle des cyanobactéries ainsi que des algues vertes » explique Thomas Rime, doctorant dans l’équipe de Beat Frey. « Elles ne nécessitent pas un sol fertile. Elles se déposent directement sur les pierres nues ou sur le sable et tirent le carbone et l’azote dont elles ont besoin directement de l’air et de la glace fondue. » Grâce à la photosynthèse, elles fabriquent à partir de ces éléments des substances organiques qu’elles accumulent dans leur corps. Lorsque ces organismes meurent, leurs restes se transforment en composants de sol ; une fine couche d’humus commence à recouvrir la zone de retrait.
Les microorganismes identifiés sont des êtres vivants étonnants. Ils s’accommodent parfaitement des conditions extrêmes de la zone abandonnée par la glace et ne sont pas perturbés par les fortes fluctuations de température, qui peuvent atteindre 40° en surface. Ils survivent pendant les périodes sèches grâce à des filaments poisseux qui peuvent retenir l’eau. Les organismes profitent même de cet environnement n’offrant pratiquement aucune ombre. Ils sont résistants au rayonnement ultraviolet important en montagne et peuvent ainsi utiliser cette lumière abondante pour la photosynthèse et la fabrication de substances organiques.
Des bactéries lithophages libèrent des minéraux
« Dès qu’une première mince couche de sol est présente, la surface est colonisée par d’autres microorganismes, appelés hétérotrophes », explique Thomas Rime. « Ces espèces utilisent le carbone et l’azote stockés dans le sol comme sources de nourriture et d’énergie ». Ils trouvent d’autres nutriments importants en commençant pour ainsi dire à ronger les rochers. Ils se collent aux pierres, sécrètent de petites quantités d’acides et dissolvent ainsi lentement la roche. Les minéraux libérés comme le fer, le phosphore ou le zinc sont consommés et les résidus de ces repas contribuent à la fertilité du sol.
Il n’y a alors plus d’obstacles à la recolonisation par les plantes. Si l’on regarde vers l’aval depuis le front du glacier, on peut constater comment des plantes basses comme les mousses et lichens, puis des herbes et des buissons, et enfin après une centaine d’années également des arbres colonisent la vallée autrefois glaciaire.
Le retrait des glaciers au cours des décennies écoulées ouvre une fenêtre sur l’apparition de biocénoses et le développement de nouveaux écosystèmes. On ne rencontre que rarement de telles conditions. « Le glacier du Damma est un laboratoire en plein air idéal pour nous, chercheurs », conclut Beat Frey. « Ceci explique qu’il soit une des zones de retrait les plus intensivement observées dans les Alpes ».