Des rochers roulent au service de la science: les chercheurs du SLF étudient l’effet protecteur optimal des forêts contre les chutes de pierres et l’efficacité du bois mort.
Dès le XIVe siècle, le défrichement a été interdit dans certaines forêts, dont on avait bien compris l’effet de protection contre les avalanches. Mais les arbres protègent également contre les chutes de pierres, qui devraient se multiplier dans les Alpes en raison du changement climatique, comme d’autres risques naturels gravitationnels tels que les avalanches, les laves torrentielles et les éboulements.
Des rochers high-tech en terrain escarpé ¶
«EOTA221, 200 kg. 3, 2, 1 - Go», crie Andrin Caviezel, chercheur du SLF, pour indiquer la forme et la taille de la pierre qu’il va mettre en mouvement en la poussant avec les mains et les pieds. En bas, dans un endroit sûr, Adrian Ringenbach, expert en chutes de pierres, doctorant âgé de 33 ans, et ses collègues attendent avec impatience de voir comment la pierre déboulera, le cas échéant. Pour chacune d’entre elles, l’emplacement d’immobilisation est mesuré. Toutes les pierres n’arrivent pas au pied de la pente, et il faut alors entreprendre une ascension dans un terrain très raide, d’une inclinaison moyenne de 37°, avec certaines sections dépassant même 50°. «Déjà, effectuer ces mesures a été un défi», explique Adrian, «mais avec deux équipes, nous avons pu améliorer notre efficacité».
Dans le Schraubachtobel à Schiers (GR), à 760 m d’altitude, les mêmes rochers n’ont été utilisés que pour les expérimentations de chutes de pierres au col de la Flüela. Les blocs de béton, fabriqués dans l’atelier du SLF, contiennent des capteurs qui mesurent avec une haute résolution temporelle la vitesse de rotation et l’accélération lors des impacts. Avec les vidéos des caméras installées sur la pente, les trajectoires des blocs peuvent être entièrement reconstituées.
Contrairement aux expériences menées au col de Flüela, la vue sur la trajectoire dans le Schraubachtobel était très limitée par la présence de la forêt. Comme il n’est pas possible de filmer depuis le versant opposé, 14 caméras au total ont été installées le long du parcours de 280 m de long pour enregistrer sans lacunes la trajectoire des pierres. Auparavant, toute la pente a été balayée par un LiDAR à haute résolution (voir film/photo). En tout, deux centaines de rochers, avec et sans capteurs, d’un poids de 30 à 800 kg, ont été lancées dans la pente au cours des 12 jours d’expérience.
Effet de barrière et de tunnel ¶
Les expériences voulaient répondre à deux questions essentielles. Premièrement, quelle est l’influence de la forme de la pierre sur sa trajectoire et sa zone de dépôt dans les secteurs boisés? Deuxièmement, quel est l’effet de la structure de la forêt et surtout du bois mort couché? Les trajectoires étaient barrées par plusieurs troncs d’arbres, principalement des épicéas renversés par la tempête Burglind en janvier 2018.
Six expériences menées en été et en automne 2019 ont permis tout d’abord de mesurer l’effet de barrière des arbres couchés, un diamètre de 30 à 59 cm s’étant avéré le plus efficace. Un effet de tunnel a également été observé: certains troncs d’arbres ne reposaient pas complètement sur le sol en raison de branches porteuses ou de la présence de petites dépressions. Une partie des petites pierres ont pu ainsi rouler sous les troncs. Cela a conduit à des résultats inattendus: les pierres les plus petites (45 kg) s’arrêtent plus bas dans la pente que les pierres moyennes (200 kg).
Des premiers résultats étonnants ¶
En décembre 2019, le bois mort a été évacué par hélicoptère et les premières expériences sans bois mort ont pu être réalisées en avril 2020. Conclusion: les pierres en forme de roue sont arrivées en moyenne moins loin que les pierres plus ou moins cubiques. Résultat étonnant, car les expériences au col de la Flüela avaient jusqu’à présent montré exactement le contraire: là-bas, les pierres en forme de roue avaient tendance à descendre plus loin, mais avec une plus grande dispersion latérale. Bien que ce soit une pierre en forme de roue qui ait également battu le record de longueur à Schiers, la majorité d’entre elles se sont arrêtées dans la partie supérieure du versant. «Nous expliquons cela par le basculement des pierres en forme de roue lors des chocs contre les arbres. Dès qu’elles glissent à plat sur le sol, le frottement accru les arrête», souligne Adrian. Les pierres cubiques continuent à rouler après un contact avec un arbre, malgré le ralentissement.
Le bois mort et les disques racinaires érigés ont eu un grand effet, comme on pouvait s’y attendre, car le nombre de pierres arrêtées derrière des troncs couchés était nettement supérieur à celui des troncs debout. Le résultat a été particulièrement clair avec les pierres cubiques de 800 kg: alors qu’en présence de bois mort, seules quatre pierres sur dix atteignaient le pied de la pente, sans bois mort, elles étaient neuf sur dix. Pour les pierres plus petites, le résultat est moins évident. «Nous supposons que cela est dû à la déclivité légèrement plus faible et à la rugosité du sol un peu supérieure à l’emplacement des troncs qui ont été évacués. En effet, plusieurs petites pierres se sont arrêtées dans la zone où le bois mort se trouvait précédemment même en l’absence de troncs couchés», ajoute Adrian.
Les données obtenues sont utilisées pour étalonner le logiciel RAMMS, qui peut simuler les avalanches, les chutes de pierres et les laves torrentielles. Les résultats de ces recherches fournissent des informations précieuses sur la quantité de bois mort à laisser dans la forêt, et à quel endroit, afin de parvenir à un entretien le plus efficace possible pour garantir son effet de protection.
Énorme hauteur de saut d’une pierre en forme de roue. Cet effet est lié à la vitesse élevée atteinte par la pierre avant son envol vers l’ancienne zone de bois mort. Video: A. Ringenbach, SLF
Raison pour laquelle les pierres en forme de roue ont une trajectoire plus courte en moyenne: après un choc contre un arbre sur pied, la pierre bascule sur son axe. En glissant à plat sur le sol, le frottement augmente et la pierre s’arrête dans l’ancienne zone de bois mort.
Nous remercions la municipalité de Schiers d’avoir mis la forêt à disposition pour les expériences.
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