Marnage et effets d’éclusée | ||||
|
||||
Les fluctuations de débit des rivières peuvent avoir des causes diverses, naturelles ou anthropogéniques. Les effets d’éclusée dont il est ici question sont provoqués par la rétention et la restitution subites des eaux que pratiquent les usines hydroélectriques à accumulation pour adapter leur production aux fluctuations de la demande en électricité. Les cours d’eau subissant cette pratique voient tout d’abord leur débit altéré selon un cycle saisonnier, des quantités d’eau importantes étant stockées l’été pour être restituées en période de forte consommation hivernale. D’autres variations de plus courte durée viennent ensuite se surimposer à ce premier cycle, les turbinages intermittents se calquant sur les fluctuations hebdomadaires et journalières de la demande. La fréquence et la régularité de ces alternances artificielles de phases à fort et à faible débit les distinguent fondamentalement des crues naturelles que connaissent tous les cours d’eau. On considère qu’environ un quart des fleuves et des rivières de moyenne à grande importance de Suisse sont influencés par les restitutions des centrales d’accumulation, les régions alpine et préalpines étant les plus touchées. Les effets d’éclusée représentent donc au même titre que les prélèvements et dérivations (débits résiduels) et les chasses et vidanges de dispositifs de stockage des centrales (réservoirs, prises d’eau, bassins de compensation) une contrainte généralisée et lourde de conséquences imposée aux cours d’eau par l’activité de production hydroélectrique. Les effets des éclusées sur le RhôneUne autre réalisation humaine influence le Rhône et bien d’autres rivières soumises aux éclusées de façon au moins aussi importance que le marnage en lui-même : la rectification, le confinement et l’endiguement des cours d’eau pratiqués dans le cadre des grands projets de correction fluviale généralement réalisés ou engagés antérieurement à l’exploitation hydroélectrique. Il est aujourd’hui souvent difficile de faire une distinction entre les effets dus à des modifications d’ordre morphologique et ceux dus à des perturbations hydrologiques. Pour contourner cette difficulté, le projet Rhône-Thur a fait appel à des données anciennes sur l’hydrologie, la morphologie et la biologie du Rhône pour obtenir une description de l’état antérieur aux aménagements et en appréhender l’évolution. Sur la base de ces données de référence, divers indicateurs ont été élaborés puis utilisés pour mieux décrire et évaluer les modifications attribuables aux turbinages hydroélectriques. Suite à la construction et la mise en service de nombreuses centrales à accumulation l’hydrologie du Rhône a été totalement remodelée dans une période centrée sur les années 1950 à 1975. D’un point de vue écologique, les répercussions les plus graves qui se font ressentir depuis lors sont une forte augmentation des débits hivernaux ainsi qu’une amplification des fluctuations de débit en cette saison normalement dominée par des niveaux faibles et constants. Un autre effet décisif des éclusées hydroélectriques est la rapidité croissante de variation du niveau des eaux ou du débit. En période hivernale, le rapport entre débit de stockage et débit de turbinage atteint aujourd’hui dans le cours inférieur du Rhône des valeurs préoccupantes voire critiques pour l’équilibre écologique du milieu fluvial. Avec le débit, d’autres facteurs tels que la température et la turbidité, paramètres décisifs de la qualité de l’eau, fluctuent également sous l’effet des éclusées. Ces fluctuations n’atteignent pas une ampleur de nature à affecter directement les organismes aquatiques mais il est pensable qu’elles soient en mesure d’entraîner des altérations métaboliques et/ou comportementales chez les sujets sensibles et ce, préférentiellement en période hivernale. D’autre part, le Rhône a connu sous l’effet de la correction fluviale une aggravation importante du colmatage du lit par rapport à son état naturel qui s’est trouvée renforcée par certains aspects des effets d’éclusées (augmentation de la turbidité et des vibrations dans le substrat en hiver). De ce fait, la perméabilité du fond et donc les possibilités d’échanges entre écoulement superficiel et nappe souterraine se sont trouvés largement compromis. La morphologie actuelle ne permet cependant pas un décollement plus fréquent du pavage et donc un nettoyage du fond (décolmatage), les débits morphogènes nécessaires n’étant jamais atteints, même lors des turbinages les plus forts. Les groupes d’organismes que nous avons particulièrement étudiés parmi ceux vivant dans le Rhône ou sur ses rives réagissent de diverses manières au régime hydrologique imposé par les éclusées. En plus des particularités propres aux organismes eux-mêmes, divers facteurs parfois spécifiques expliquent cette disparité. Ainsi, parmi les poissons qui subissent comme tous les autres organismes une forte influence des caractéristiques morphologiques du cours d’eau, certaine espèces se distinguent par les mesures de repeuplement artificiel parfois massives dont elles font l’objet. Une telle superposition de facteurs très différents rend, chez les organismes aquatiques (poissons, macroinvertébrés) comme terrestres (invertébrés ripicoles), une identification des effets clairement attribuables aux éclusées hydroélectriques particulièrement difficile. Malgré cette difficulté de distinction, on peut affirmer que les effets d’éclusée ont une grande part de responsabilité dans les déficits biologiques constatés sur le Rhône. Il a ainsi été démontré que le turbinage hydroélectrique était principalement responsable d’une dérive massive des macroinvertébrés à la montée des eaux et d’une mobilisation par les débits élevés des alluvions les plus fines déplacées par charriage entraînant une dégradation des qualités habitationnelles du fond du lit. Des déficits particulièrement importants ont été constatés en aval de Riddes pour tous les groupes d’organismes étudiés, dans une partie du Rhône subissant des effets d’éclusée grandissants du fait de l’exploitation de deux grandes centrales à accumulation voisines. De là jusqu’à son embouchure dans le Léman à la Porte du Scex, le Rhône ne présente plus d’amélioration significative de sa qualité hydrologique et biologique. Dans certains tronçons du Rhône lui-même (comme par ex. dans le tronçon à débit résiduel s’étendant du bois de Finges aux îles Falcon) de même que dans certains bras secondaires et tributaires, certaines espèces végétales et animales isolées ont pu se maintenir alors qu’elles avaient déjà disparu de grandes parties du cours principal. Le Rhône présente donc encore un potentiel important pour la recolonisation future de milieux réhabilités. Les effets des éclusées sur les revitalisations de cours d’eauLes effets d’éclusée créent cependant des conditions défavorables à la revitalisation fluviale pouvant remettre en cause le succès d’initiatives prévues sur certains tronçons. Cette incompatibilité concerne principalement le milieu fluvial en lui-même (domaine aquatique), les mesures engagées en faveur du milieu terrestre environnant (réhabilitation des zones alluviales, facilitation de l’implantation d’une végétation pionnière terrestre) étant nettement moins affectées par les variations subites de débit. Dans le domaine aquatique du Rhône et notamment dans son cours inférieur fortement soumis au marnage en aval de Riddes, le succès des revitalisations est cependant fondamentalement remis en question si des mesures efficaces d’atténuation des effets d’éclusée ne viennent pas les accompagner. De telles mesures sont également recommandées dans les zones plus amont concernées par des effets d’éclusée moins prononcés. Le rapport de synthèse « Schwall/Sunk » téléchargeable en allemand sur notre site livre les bases permettant d’évaluer l’ampleur des effets d’éclusée sur un tronçon donné et de déterminer au cas par cas les mesures d’atténuation du marnage envisageables et adaptées à la situation. Par contre, l’état des connaissances est encore insuffisant en ce qui concerne le degré d’atténuation du marnage nécessaire au succès de la restauration de la qualité écologique ou des fonctions du milieu fluvial. Cette question doit être traitée au cas par cas. Le rapport « Schwall/Sunk » livre également à ce sujet des instruments utiles sous la forme d’indicateurs et de valeurs de référence. Au terme du projet Rhône-Thur, un certain besoin en matière de recherche perdure ou s’est manifesté dans les domaines suivants pour le Rhône et divers autres rivières alpines soumises aux éclusées:
|
||||
|